La caricature est assumée, des professionnelles du secteur médico-social et social et des cheffes de projets numériques ont échangé sur leurs travers respectifs lors de la 18ème édition de l’Université de la e-santé, à Castres le 26 novembre 2024.
L’humour second degré et la posture caricaturale, en robes d’avocats de l’accusation et de la défense, ont participé à exprimer clairement les difficultés de gestion de projets numériques dans ces secteurs.
10 ans d’expérience de projets numériques pour le secteur médico-social
Les premiers projets ambitieux de développement de la e-santé pour les établissements médico-sociaux remontent à plus de 10 ans. En Occitanie, les efforts ont d’abord porté sur l’échange sécurisé de mails et sur la télémédecine dans les EHPADS. Puis l’Etat a très nettement renforcé son investissement pour la transformation numérique ces dernières années, avec notamment le programme ESMS numérique.
Fort de cette expérience sur différents projets, le GRADeS a voulu partager largement les enseignements tirés. Plusieurs participants de différentes structures médico-sociales et sociales et de plusieurs équipes du GRADeS ont contribué à l’indentification des difficultés et des leviers. Ensuite les résultats ont été restitué sous la forme scénarisée d’un procès entre les deux parties prenantes.
Accusations, défenses et verdict entre le numérique et le médico-social
La séquence des plaidoiries a été consacrée à l’exposé des griefs des deux parties. Méconnaissance du contexte, divergences de méthodes, cultures métiers antagonistes, ce n’est pas gagné dès le départ. Sur 6 chefs d’accusation, 5 étaient portés à l’encontre du numérique (cf. détail en fin d’article). Le public a ensuite rendu son verdict : malgré de lourdes charges, les participants à l’Université de la e-santé présents à cet atelier ont unanimement acquitté le numérique.
Résultat de l’identification de ces freins, le procès a pu déboucher sur la présentation de 10 conseils pour réussir ces projets.
Louise DEFFRENNES Programme ESMS Numérique, GRADeS Occitanie
Tamara KUHBIER, Programme Orientation – Personnes âgées et handicap, GRADeS Occitanie
Marie-Agnès JIZIKI Cheffe du service Accueil Information et Coordination, Maison départementale de l’Autonomie (Tarn)
Julie DURAND, directrice du GRADeS Occitanie
10 leviers pour réussir ensemble des projets numériques pour le médico-social et le social
- Assumer l’obligation de disposer de systèmes d’information nationaux et régionaux pour répondre au besoin de pilotage de l’Etat & des autorités sanitaires et sociales, plutôt que de prétendre servir les pratiques professionnelles médico-sociales et sociales.
- Penser le numérique non pas dans le sens « informatique » mais via les effets en termes de prise en charge, de qualité, de conformité HAS
- Intérêt des expérimentations à petite échelle, à dimension humaine, pour que tout le monde soit partie prenante et puisse participer à adapter le projet
- 4 Travailler en mode projet, avec une équipe et des jalons, déployer par étapes
- Importance de l’accompagnement expert avec des interlocuteurs référents qui suivent du début à la fin du projet
- Créer et maintenir une dynamique interne avec des ambassadeurs métiers, des pairs et un engagement de la direction et des services
- Dimensionner clairement l’élément chronophage et l’intégrer dans l’organisation de l’équipe et du travail
- Identifier et valoriser des bénéfices court termes, avec des éléments comme un agenda partagé qui vont tout de suite avoie un avantage pratique
- Créer et maintenir une dynamique réseau territorial (retours d’expérience, mutualisation,…)
- Savoir se remettre en question totalement à tout moment, ne pas perdre de vue l’objectif de service métier
FOCUS 6 traits caricaturaux entre le numérique et le médico-social
- Et l’usager ? Les professionnels du médico-social accusent les outils numériques de les éloigner de la personne prise en charge, physiquement via un écran qui coupe le regard mais aussi en termes de disponibilité, à cause de tâches chronophages. Mais le numérique est aussi utile, voire indispensable, dans les échanges avec les proches des personnes accueillies. Le secteur sanitaire avait les mêmes réticences vis-à-vis d’un numérique accusé de déshumaniser la relation patient/médecin au début de l’essor de nouvelles pratiques comme la téléconsultation.
- C’est pas mon métier ! La traçabilité, la sécurité et les procédures bousculent les modes d’organisation de professionnels qui s’inscrivent plutôt dans une culture orale et pragmatique. Mais la capitalisation des informations et de l’expérience dans un contexte de turn-over élevé est un atout pour la qualité de la prise en charge. Et la sécurité, « c’est pas ton métier, mais c’est ta responsabilité ».
- Vos outils ne fonctionnent pas… Trop d’outils déconnectés les uns des autres, des problèmes de réseau et de matériel, un manque de formation, les usages ne sont pas si simples sur le terrain. La gestion du changement est longue (on estime qu’il a fallu 15 ans pour passer à la carte Vitale !
- Le numérique contraint nos pratiques. Les professionnels du médico-social et du social « subissent », le numérique ne s’adapte pas à leurs pratiques mais à l’inverse impose des modes de fonctionnement. Il y a cependant des bénéfices métiers, des fonctionnalités qui font réellement gagner du temps, comme l’intégration d’un annuaire basé sur des référentiels. L’information est plus facilement accessible et fiable. Le service socle ViaTrajectoire, pour l’orientation des patients et des usagers des services de structures, selon leurs besoins et leur localisation, est structurant.
- Le médico-social, c’est le far-west ! La conduite de projet est compliquée par l’absence de « chef de projet » côté ESMS, voire l’absence d’interlocuteur ! Toute cette transformation repose sur la direction, sollicitée sur tous les sujets numériques par des acteurs différents avec un vocabulaire étrange bourré d’acronymes exotiques. Puis pour la formation et le suivi des usages, le turn-over des professionnels nécessite des efforts continus. Ceux qui conçoivent et déploient ces programmes numériques ont une connaissance insuffisante du secteur médico-social, très disparate et très morcelé. Le médico-social est trop souvent réduit aux EHPAD alors que les situations sont très diverses, à la fois sur les besoins et sur les acteurs.
- Vous déployez comme des bulldozers. Les projets sont chronophages et complexes. Il faut déjà s’y repérer pour comprendre à qui s’adresser entre CNSA, ANS, ARS, GRADeS… Ensuite les dossiers sont lourds, très longs à remplir, dans un cadre rigide. Les avantages, pour les professionnels des structures, ne sont finalement toujours pas ceux attendus : par exemple un des principaux points positifs mentionnés pour le programme ESMS numérique est « un levier pour bien travailler ensemble ». Le numérique aide à faire réseau sur le territoire et à développer la transversalité dans l’organisation. Il y a une démarche de normalisation pour tous très intéressante ainsi qu’une capacité renforcée à se faire entendre auprès des éditeurs.